Fondation Concorde : « En dehors de Paris, nos territoires ont été sinistrés par la disparition de 50% de nos industries en trente ans, une catastrophe qui aurait pu être évitée »
Les élections municipales représentent un rite républicain qui marque la vie démocratique française. Après les différents mouvements sociaux de ces deux dernières années, elles donneront une bonne image de « l’archipel politique et social français ». L’affaiblissement des différents partis laisse à l’évidence une place aux listes sans étiquette ou encore teintées d’écologie.
Un dicton énonce : « à une heure de Paris, il existe un magnifique pays qui s’appelle la France ». A ce titre, la polarisation des élections municipales se fera donc autant sur l’élection municipale parisienne que sur les élections dans toutes les autres communes de France. Notre capitale a un besoin urgent de retrouver des gestionnaires soucieux du bien-être des Parisiens, à l’opposé de l’actuelle municipalité branchée sur la communication à tout-va et éloignée du terrain.
N’importe quel habitant ou touriste peut constater l’état de saleté grandissante des rues, triste cause de la prospérité des rats. Ce simple constat quotidien démontre l’incapacité de la municipalité à résoudre une question prioritaire : la propreté, disqualifiant l’équipe sortante aux yeux de nombreux parisiens. Lorsque l’on sait que 10000 salariés ont été embauchés depuis 2001, augmentant le nombre d’employés de la ville à environ 50000 personnes alors que le nombre d’habitants a baissé depuis cette date, nous sommes en droit de nous interroger sur la bonne allocation des ressources à Paris.
On ne peut éviter de citer, parmi ces dérives, la lutte permanente engagée contre la circulation des voitures et non contre la pollution. Lutter contre la pollution est une action indispensable, mais cela s’accompagne, se prépare et surtout passe par une incitation à faire évoluer les comportements. Les décisions brutales aboutissent à des embouteillages, eux-mêmes créateurs de pollution. Si les pistes cyclables doivent être sécurisées, l’hôtel de ville doit également faire la promotion des véhicules hybrides et électriques, et surtout se charger d’organiser et de fluidifier des déplacements. Tous les Parisiens, même les moins de 12 et les plus de 60 ans, doivent pouvoir trouver leur chemin sur des trottoirs malheureusement devenus dangereux par la présence de nouveaux voltigeurs en tous genres.
Concentration économique. La capitale française ne peut être négligée. Les Français doivent rester fiers de Paris qui concentre une part importante de notre patrimoine mais aussi de nos savoir-faire. La complémentarité avec les territoires s’effectue-t-elle naturellement ? Rien n’est moins sûr. Les effets de la concentration dans une économie capitaliste ne jouent pas en faveur des zones rurales. Or, les tendances économiques entraînent les mouvements de population. Quand il n’y a plus d’activités, soit on reste chez soi en usant du système social, soit on déménage, soit on parcourt matin et soir de longues distances qui, à la longue, se révèlent coûteuses et éreintantes.
En dehors de Paris, nos territoires ont été sinistrés par la disparition de 50% de nos industries en trente ans, une catastrophe qui aurait pu être évitée sans la myopie d’une partie de nos dirigeants pendant plusieurs décennies. Dans un prochain document, les économistes de la Fondation Concorde analyseront les raisons qui nous ont égarés sur la voie du renoncement industriel. Tous s’accordent à penser que le mouvement des Gilets jaunes n’aurait pas eu lieu avec un PIB industriel à 20% du PIB total, comme en Allemagne, en Suisse ou en Italie du nord.
La France reste sur le modèle des États-Unis, pays où se trouve le plus grand nombre de très grandes entreprises par habitant. Nos entreprises se sont internationalisées à marche forcée, faute de pouvoir produire de manière compétitive sur notre territoire. Dommage, diront les maires, nous aurions préféré le contraire : le plus grand nombre de PMI par habitant, correspondant à un chômage de 3% ! Comme chez nos voisins.
Dans les territoires hors de Paris, les fameuses métropoles ou même dans les zones périurbaines, les élections ne sont jamais vraiment placées sous le thème de l’économie et de l’industrie. Pourtant, avec nos 2400 milliards d’euros de dette, nous souhaitons qu’un effort de clairvoyance amène toutes les collectivités à privilégier l’efficacité économique globale pour le pays à l’aisance passagère d’un budget local. Il faudra un effort de pédagogie considérable pour annoncer aux 35 000 communes de France qu’elles devront restreindre leur train de vie pour assurer l’avenir de notre économie.
«Des mesures devraient également être prises pour protéger les centres-villes. Leur disparition dans les petites communes est une tendance qui accentue la déshumanisation de notre société»
Nous préconisons deux traitements différents : maintenir au même niveau les dotations de l’Etat aux communes de moins de 1000 habitants, et un reflux de 2% pendant trois ans pour les autres, permettant de supprimer pour les industries la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), pour l’équivalent de 3 milliards d’euros. L’Etat s’engageant de son côté à mettre en place un crédit d’impôt pour l’investissement productif, cela devrait amener le secteur de la production à parité de compétitivité avec nos principaux partenaires en Europe et dans l’OCDE. Ce que l’on n’a pas vu depuis quarante ans.
Imaginons les économistes de la Fondation Concorde à Matignon ! Nous déciderions d’aller plus loin et de donner un avantage compétitif définitif à nos industriels, en y consacrant en priorité les moyens nécessaires, afin de capter les implantations, favoriser les relocalisations, l’essaimage, la sous-traitance et l’innovation, et enfin ainsi, redevenir prospère. La tendance actuelle favorable à un renouveau industriel grâce à une forte demande mondiale pour certaines de nos productions, en particulier les secteurs du luxe, de l’aéronautique ou de la pharmacie, devraient être amplifiés ; c’est aussi l’assurance, dans un second temps, d’une fécondation du secteur des services.
A l’occasion des municipales de mars, plusieurs mesures devraient également être prises par les pouvoirs publics pour protéger les centres-villes dans les communes de moins de 50 000 habitants, enjeu crucial pour le bien-être des habitants. Nous préconisons un prélèvement de 1,5% sur le chiffre d’affaires des supermarchés de plus de 2500 m² et une taxe équivalente pour les entreprises de l’e-commerce, ressources qui viendraient en diminution des impôts locaux des petits commerces et des artisans. Ce qui, de l’avis général, serait imperceptible sur les prix.
Couches administratives. Tant que l’on ne procède pas à ces rééquilibrages « softs », on laissera les tendances lourdes tout emporter, tout en se lamentant. Nous demandons un peu de courage politique car il y aura toujours des raisons pour « laisser faire ». La disparition des centres-villes dans les petites communes est une tendance qui accentue la déshumanisation de notre société contre laquelle nous devons tous nous élever.
Notre pays se caractérise par des couches superposées d’administration comme nulle part ailleurs ; les communautés de communes doivent progressivement trouver leur équilibre concernant leur fonctionnement, des présidences tournantes peuvent être envisagées pour mieux répartir les pouvoirs de décision. Quant aux départements, nos décideurs pourraient faciliter voire encourager les regroupements deux à deux. Certains semblent évidents (par exemple : Alsace, Charentes, Eure-et-Loir et Loiret) sans pour autant que les habitants perdent leur identité. Il est indéniable que l’on pourrait trouver des économies à travers ce mouvement. Ce ne serait que reprendre l’idée de Michel Debré, Premier ministre du président De Gaulle, qui préconisait une France avec 50 départements.
Enfin, pour boucler ce cycle initial de recherche d’économies, nous proposons que puissent être rapidement installés des conseils régionaux constitués par des « délégations de conseillers départementaux » : cela évitera les doublons, la concurrence entre les deux niveaux, et serait évidemment profitable à la clarification des responsabilités et au bon déroulement des projets.
Parfois, certains peuvent douter de la capacité à réformer le pays tout entier. Les communes doivent alors devenir les vraies cellules de la modernisation du pays, de sa réindustrialisation. Si Paris ne sait pas impulser de dynamique de prospérité, c’est à tous les territoires de montrer à leurs habitants qu’ils savent s’en emparer.
Etat-major
Michel Rousseau, économiste, est ancien professeur et chercheur à Paris-Dauphine. Il a aussi été maire de Gallardon et de Saint-Denis-des-Puits (Eure-et-Loir). Matthias Baccino, diplômé de l’IEP d’Aix-en-Provence et de l’Essec, ancien de la banque d’investissements BNP Paribas CIB, est depuis 2016 directeur général de BinckBank en France. Jonas Haddad est avocat. Ils sont respectivement président et vice-présidents de la Fondation Concorde qui rassemble universitaires, experts, hommes et femmes d’entreprise et entend porter la voix de la société civile, en promouvant notamment à la décentralisation et la petite industrie.
Publié dans l’Opinion le 24 février 2020