Depuis le sommet de Saint Malo en 1998, la construction de la politique européenne de sécurité et de défense (PESD) s'est accélérée. La présidence française de l'Union au 2ème semestre 2008 a donné plusieurs impulsions pour approfondir cette construction, répondant ainsi aux défis engendrés par la multiplication des opérations sous l'égide de l'État-major de l'Union (Kosovo, Congo, Somalie/Atalante,…). Quel rôle peuvent jouer les parlementaires européens dans la PESD ? Si le Parlement a adopté récemment un "Paquet Défense" sur les marchés publics et les transferts intra-communautaires, pourrait-il voir ses prérogatives et/ou son implication croître ?
Les questions de défense sont difficiles à aborder dans les élections européennes, tant le sujet reste confiné à des aspects techniques. Pourtant, sans soutien de la population, il n'est pas possible d'engager les débats nécessaires sur les orientations de la PESD. Or l'opinion publique connaît mal la réalité de la PESD, supposant bien plus d'acquis qu'en réalité. L'Europe de la défense est en panne depuis 2003 en raison de blocages institutionnels, des affrontements quant à l'intervention en Irak et d'un faible engagement dans les opérations extérieures de l'Union (souvent portées par la France). De fait, la PESD reste dans une approche restrictive des missions de Petersberg1 qui forment le seul périmètre collectivement accepté par tous les pays européens.
Le positionnement de l'Union européenne vis-à-vis de l'OTAN reste aussi à clarifier. Faut-il, par exemple, que l'Europe se cantonne à la gestion d'opérations humanitaires, comme le souhaitent les Britanniques ? De fait, l'Union européenne manque d'une vision commune, partagée, de ce que doit être la PESD. De plus, les États-Unis restent à convaincre de la nécessité d'un pilier européen au sein de l'Alliance : il n'est pas possible de demander aux pays européens d'assumer leur part du fardeau sans leur laisser la capacité d'être des pairs.
Qui plus est, beaucoup de pays sont dans une culture de dépendance à l'égard de l'Alliance, ce qui freine le développement de capacités européennes dans la défense et conduit beaucoup de décideurs politiques à ne pas assumer leurs responsabilités en matière de défense. Or c'est uniquement en ayant une Europe de la défense forte qu'elle sera acceptée et respectée par les États-Unis.
Les couples franco-britannique et franco-allemand sont incontournables pour poursuivre la construction de l'Europe de la Défense. Cependant, nous sommes loin de partager la même approche. Si le Royaume-Uni peut converger avec la France sur les opérations, il ne souhaite pas la mise en place d'outils structurels comme l'État-major ou un centre permanent de planification des opérations. De même, la PESD peut progresser avec le soutien de l'Allemagne tant que cette progression n'entre pas en conflit avec la relation transatlantique et qu'elle s'appuie sur un retour d'expériences opérationnelles.
Cependant l'indigence des budgets européens liés à la défense (PESD, Agence européenne de défense,…) est criante. Par exemple, les opérations extérieures de la PESD sont presque uniquement financées par les contributions des pays participants et conduites à leurs propres risques. Le mécanisme Athéna, qui vise à prendre en charge les coûts communs des opérations, ne bénéficie que d'un budget minimal de dix millions d'euros, soit à peine 7% des coûts réels. De même l'Union européenne a limité ses forces déployables à 60 000 hommes, ce qui conduit à une automutilation. L'incapacité de l'Union à mettre en place un fond de financement est révélateur des limitations que nombre de pays européens veulent imposer à la PESD.
Le Parlement européen offre néanmoins un espoir, notamment parce qu'il va voir son rôle accru. Certes la défense reste en dehors de son domaine de compétences mais il devra être régulièrement et systématiquement informé des opérations de l'Union et beaucoup de ses domaines de compétences ont et auront un impact sur la construction de l'Europe de la
défense (marché intérieur, recherche et développement, affaires étrangères, etc.). Qui plus est, ce rôle croissant doit permettre une amorce de débat démocratique – ce qui n'est pas le cas au niveau de l'OTAN. Cette évolution est essentielle et doit être pleinement exploitée de manière à progressivement relayer les débats jusqu'aux citoyens et ainsi permettre un contrôle démocratique sur les opérations menées dans le cadre de la PESD.
D'ailleurs le Parlement européen a déjà mis en place une sous-commission Défense et Sécurité qui a ouvert un espace d'échanges et de réflexion. Cependant son poids reste limité, puisque cette sous-commission ne peut publier que des rapports non-législatifs. Son poids moral est toutefois important et doit être renforcé par un développement de son activité et de ses compétences. Le départ de Karl von Wogau, initiateur de la sous-commission, suscite toutefois des craintes sur son avenir, d'autant qu'un seul député français s'est impliqué dans la sous-commission lors de la législature sortante : Jacques Toubon, qui ne se représente pas.
Qui plus est, le Parlement européen a un rôle crucial dans l'adoption des budgets de l'Union. Or les contraintes budgétaires peuvent pousser les États à demander à l'Union, donc au Parlement, d'assumer une partie du coût des opérations et de combler des lacunes capacitaires (dans une logique d'additivité). L'évolution du coût des équipements de défense pousse d'ailleurs à une mise en commun des efforts. Rendant les systèmes trop coûteux pour une seule nation, cette évolution structurelle peut pousser non pas à une impasse, mais au dépassement des blocages actuels – si tant est que les pays européens ne perdent pas leurs ambitions pour la PESD.
Encore faut-il que l'approche européenne se fasse en faveur du renforcement d'une base industrielle de défense européenne autonome, non à son détriment par une approche libreéchangiste qui ne peut que servir l'industrie américaine. Le volontarisme que l'Union européenne a montré sur Galileo laisse quelque espoir. L'Europe est capable, quand elle le
veut, de dégager les ressources financières nécessaires à son autonomie stratégique. En responsabilisant les Européens, il est tout à fait envisageable d'étendre cette démarche à d'autres domaines.
Il est nécessaire de partir de projets concrets et de définir ce que nous voulons pour l'Europe. Une Union forte, capable de jouer pleinement son rôle dans le concert des nations ? Quelle est notre ambition collective ? Comment débattre de la portée réelle de la PESD et de ses lacunes ? Le Parlement européen aura sans aucun doute un rôle à jouer pour répondre à ces questions, en particulier après l'adoption des réformes institutionnelles.
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