Le raccordement de l'ensemble des foyers à Internet par une liaison très haut débit (THD) agite beaucoup les élus locaux et nationaux, le gouvernement et les opérateurs, comme un projet qui pourrait donner une avance sensible à notre économie et satisfaire nos concitoyens.
Force est pourtant de constater que ce rêve de performance extrême pour la totalité de la population, désigné sous le vocable « le très haut débit pour tous » ne repose pas sur un besoin universel à court ou moyen terme, ni une véritable réalité économique.
Ce projet, estimé entre 40 et 100 milliards d'euros actuellement, ne répond à aucune demande de l'ensemble de la population. A titre de comparaison, il représente 10 ans de subvention de la Politique Agricole Commune pour la France.
Pourtant, le très haut débit pourrait être un élément de réponse à certains problèmes d'aménagement territorial, particulièrement en périphérie des zones urbaines et en zone rurale. Ce n'est malheureusement pas sur ces territoires que les opérateurs sont les plus pressés d'investir dans ces technologies. C'est pourquoi, il est ainsi essentiel de renforcer le rôle des collectivités territoriales dans les choix d'infrastructures permettant des aménagements locaux.
La logique des opérateurs pour développer le très haut débit répond à deux préoccupationsdifférentes : pour les uns, il s'agit de remplacer une infrastructure de câblage en cuivre obsolète et largement amortie, tandis que pour les autres, il s'agit de répondre à la croissance du trafic « montant », c'est-à-dire de l'utilisateur final vers le coeur du réseau, généré par les nouveaux usages de l'Internet, le web 2.0 et les contenus produits par l'utilisateur. Dans les deux cas, l'installation de la fibre optique au plus près ou jusque chez l'abonné est une solution technicoéconomique optimale en zone urbaine dense.
Mais la fibre optique n'est certainement pas optimale pour répondre aux besoins de tous les foyers et toutes les entreprises de France. La boucle locale radio est une solution à considérer pour des liaisons à haut débit symétriques ou à très haut débit ciblées, en zone à plus faible densité d'utilisateurs. En effet, les technologies sans fil, comme aujourd'hui le WiMax ou demain le LTE, pourraient permettre rapidement d'atteindre de tels débits. Ces technologies radio pourraient être déployées dans les futures bandes de fréquences associées aux services mobiles : bande d'extension à 2,6 GHz et bande du dividende numérique.
Certaines applications ou modes d'organisation spécifiques à la grande banlieue ou la campagne, comme la télémédecine, le télétravail et la télé-administration, nécessiteraient un raccordement de certains types d'utilisateurs en très haut débit.
La réorganisation territoriale des établissements médicaux et de soin pourrait conduire à une plus large utilisation de la télémédecine, nécessitant un raccordement à très haut débit pour la transmission d'imagerie médicale en temps réel ou des liaisons vidéo de haute qualité pour du télédiagnostic ou de la téléchirugie. Il faudrait alors équiper prioritairement des établissements à proximité des patients, ainsi que des centres hospitaliers. On pourrait aussi envisager le raccordement de certains patients pour permettre leur maintien à domicile, si le haut débit actuel ne suffit pas.
L'accroissement du coût des transports, ainsi que la mobilité géographique nécessaire pour l'obtention ou la conservation d'un emploi conduisent les salariés à des migrations quotidiennes de plus en plus coûteuses pour eux, leur employeur et la collectivité. Le développement occulte du télétravail, dans un grand nombre d'emplois ne nécessitant pas la présence permanente du salarié dans l'entreprise, témoigne du potentiel de ce mode d'organisation du travail, si l'on consentait à le
faciliter et le légaliser. Le télétravail, qu'on ne confondra pas avec le seul travail à domicile, pourra nécessiter d'équiper des infrastructures immobilières de capacités de communication à très haut débit pour assurer la mise en relation des salariés présents sur ces sites avec leur entreprise dans les meilleures conditions.
Enfin, le développement de l'e-administration en zone rurale, là où il est le plus difficile d'effectuer des démarches administratives complexes et nécessitant de multiples contacts humains, pourrait largement bénéficier de points spécifiquement équipés de connexions à très haut débit assurant une qualité de communication audio-vidéo entre des interlocuteurs multiples simultanément, sous forme de réunions virtuelles, sans déplacement physique. Pour cela, le haut débit symétrique ou le très haut débit seraient utiles alors que pour toutes les autres applications le haut débit asymétrique (> 2 Mbit/s) est suffisant.
On pourrait aussi mentionner d'autres besoins, comme ceux des établissements de formation et de recherche qui sont pour beaucoup sous-équipés.
Indépendamment de la valeur commerciale d'une boucle locale à très haut débit, qui reste de la responsabilité économique et financière des opérateurs privés, il existe une valeur économique et sociale du très haut débit pour l'équipement de certains points spécifiques du territoire, au profit des citoyens, des entreprises et de la collectivité.
Oublions provisoirement ce rêve agréable du « très haut débit pour tous », fondé d'ailleurs sur des perspectives d'utilisation liées aux loisirs numériques dont l'avenir pourrait être moins radieux que prévu en ces temps de pouvoir d'achat restreint, pour concentrer les actions et les financements publics sur des infrastructures utiles pour tous.
On pourrait imaginer un financement de ces infrastructures d'intérêt général par la contribution conjointe des collectivités territoriales (moins de routes, plus de très haut débit), des fonds d'aménagement du territoire, du produit d'une taxe carbone sur les déplacements ou d'une fraction de la TIPP, du service public de santé, des fonds dévolus au développement de l'e-administration et une contribution des employeurs à la place d'une partie de leurs contributions aux transport et au logement des salariés.
Les infrastructures de très haut débit à caractère commercial relèveraient du strict financement des opérateurs privés sur fonds privés.
Quand la totalité des citoyens aura un accès à haut débit supérieur à 2 Mbit/s, suffisant pour encore longtemps à 90 % des usages courants et 99 % des utilisations essentielles, la collectivité pourra alors se poser la question de sa contribution au « très haut débit pour tous ». L'accès pour tous s'entend bien évidemment, non seulement sur le plan technique, mais aussi, et surtout, sur le plan économique, au même titre que l'eau ou l'électricité.
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