La tribune de Jacques Marceau – Fondation Concorde publiée dans Les Echos le mardi 4 mai 2021.
Pour faire face aux conséquences économiques de la crise sanitaire, la France a déployé des moyens considérables pour aider les entreprises. Ces moyens se sont principalement structurés autour du plan France Relance qui, bien au-delà de permettre aux entreprises de « tenir » et de ré-ouvrir quand la crise sanitaire sera derrière nous, a l’ambition de relocaliser notre outil productif au cœur de nos territoires. Une ambition qui pourrait bien avoir des effets positifs inattendus en enrayant l’expatriation de nos meilleurs talents.
Dans de nombreux domaines, la crise sanitaire de la COVID 19 aura joué un rôle d’accélérateur de tendances et d’amplificateur de mouvements déjà engagés, parfois de longue date. Ceci semble particulièrement vrai dans le domaine industriel où, après des décennies de délocalisations pour faire de la France un « grand pays des services » puis, plus récemment, une « start-up nation », un mouvement de réindustrialisation s’est enclenché depuis plusieurs années et accéléré dès 2018, bien avant la prise de conscience brutale engendrée par la crise sanitaire de la perte de notre indépendance vis-à-vis de producteurs étrangers pour des approvisionnements qui se sont révélés essentiels. Un renversement de tendance qui s’est traduit par une hausse sensible des emplois industriels avec la création de 20 000 emplois nets en 2018. Une tendance moins marquée en 2019 mais qui, de toute évidence sera significative en 2020, notamment du fait de la mise en œuvre de vigoureuses mesures gouvernementales en faveur des relocalisations industrielles parmi lesquelles le plan France Relance. Au-delà de l’objectif affiché de donner les moyens à nos entreprises de rebondir une fois la crise sanitaire passée, ce plan a l’ambition de remettre l’industrie au cœur des territoires et d’offrir des perspectives aux jeunes qui arrivent sur le marché de l’emploi en dessinant un projet pour la France de 2030.
Parmi les atouts dont dispose la France pour accéder à cette ambition : son potentiel incomparable en matière de recherche et d’innovation. Un potentiel qui, à l’opposé de la centralisation politique et administrative qui a toujours prévalue dans notre pays, s’est développé au cœur de nos territoires, au plus près d’une industrie à qui elle a fourni des ressources humaines, des compétences et des innovations adaptées à ses besoins. Une proximité qui ne date pas d’hier, car c’est à l’orée du XIXème siècle que Louis XVIII décide de la création d’une école de mineurs à Saint-Etienne, alors en plein essor grâce aux mines de charbon, qui sera, quelques années plus tard, élevée au rang d’école d’ingénieurs. L’idée de fournir à l’industrie la main d’œuvre qualifiée, les ingénieurs et les cadres dont elle a besoin au cœur même des territoires où elle est implantée était née et allait progressivement se généraliser à travers toute la France, d’abord au cœur des bassins miniers puis, tout au long du XXème siècle, des grands sites industriels territoriaux dans les domaines les plus divers. C’est ainsi que s’est créé un maillage territorial académique sans doute unique au monde, à proximité et en prise directe avec nos grands centres de production, et qui a sans doute contribué à faire de la France l’une des premières puissances industrielles mondiales.
Cette proximité avec les grandes écoles et leur contribution à l’innovation des entreprises s’est considérablement renforcée et diversifiée ces quinze dernières années avec la création du dispositif Carnot qui a vocation à promouvoir et organiser la recherche partenariale entre des laboratoires de recherche de ces grandes écoles et des entreprises.
Aussi, et en dépit des politiques de désindustrialisation qui ont eu cours jusqu’à ces dernières années, grandes écoles et laboratoires de recherche français ont continué à attirer des étudiants du monde entier et à former des bataillons d’ingénieurs qui, ne trouvant pas de débouchés locaux suffisamment attractifs, sont retourné dans leurs pays d’origine ou se sont purement et simplement expatriés.
Ainsi, l’actuel mouvement de réindustrialisation, au-delà de créer de la richesse au sein des territoires et de contribuer à restaurer tant notre balance commerciale que notre souveraineté économique, pourrait bien enrayer le préoccupant phénomène de « fuite des cerveaux » dont souffre notre pays en permettant à des jeunes talents, français ou étrangers qui ont fait leurs études dans une région, d’y rester pour y vivre et y créer de la richesse. Un bénéfice secondaire qu’il conviendrait de prendre davantage en compte pour amplifier le mouvement de reprise engagé et de reconquête de notre souveraineté industrielle.
Jacques MARCEAU, administrateur de la Fondation Concorde et co-fondateur de l’Institut de la Souveraineté Numérique