Les Français ont massivement épargné pendant le confinement et ils continuent de le faire, pour ceux qui en ont les moyens, par peur du lendemain ou faute de loisirs disponibles. Cette manne, accumulée très majoritairement dans l’assurance-vie, devrait être réorientée vers l’économie réelle. Christian de Boissieu et Matthias Baccino proposent quelques pistes en ce sens.
Par Christian de Boissieu (professeur émérite à l’université Paris-I et vice-président du Cercle des économistes), Matthias Baccino (vice-président de la Fondation Concorde)Publié le 20 oct. 2020 à 10:22
La période que nous vivons est étrange à bien des égards. Elle l’est notamment en matière d’épargne : les ménages français ont mis de côté ces derniers mois 20 % à 25 % de leurs revenus, au lieu de 15 % en période normale. Epargne de précaution face à la montée du chômage et aux incertitudes quant à l’avenir du régime des retraites, épargne forcée née du confinement… Selon la Banque de France, 80 à 100 milliards d’euros d’épargne supplémentaire ont été accumulés en quelques mois. Et cet argent dort, ou presque, car il est massivement placé dans les livrets, les dépôts à vue et les fonds euros des contrats d’assurance-vie . Or, avec 1 % de rendement supplémentaire sur les seuls contrats d’assurance-vie existants, environ 18 milliards additionnels seraient injectés chaque année pour le pouvoir d’achat des Français.
Assurance-vie, la manne financière
Du côté des entreprises françaises, l’urgence est de renforcer leurs fonds propres, qui permettent d’absorber les chocs et d’investir sur le long terme. Il s’agit donc de changer d’approche, de passer du financement des pertes issues de la crise sanitaire à l’investissement dans la création de richesse durable, seule garante de la production et de l’emploi de demain. Et de la capacité à rembourser ses créanciers.
La BPI prend en ce moment des initiatives intéressantes. Mais la manne financière est avant tout logée dans l’assurance-vie , produit phare de l’épargne des Français grâce à son statut fiscal avantageux. C’est donc cette manne qu’il faut rendre plus dynamique tout en recherchant le bon équilibre avec ses autres vocations de sécurité et de financement de la dette publique.
En pratique, les compagnies d’assurances sont avant tout tenues par la réglementation européenne Solvabilité II. Une réglementation négociée à une période où il était inimaginable de voir un contexte de taux bas s’installer dans la durée jusqu’à devenir la norme ! Elle constitue dorénavant un carcan qu’il faut adapter au nouveau contexte. Donnons aux compagnies d’assurances la possibilité et l’envie d’investir davantage dans l’économie réelle, notamment grâce à une offre adaptée et facilitée concernant les unités de compte.
La loi Pacte largement inappliquée
L’Assemblée nationale vient de voter en faveur d’une flexibilité des contrats d’assurance-emprunteur. Mais l’article 72 de la loi Pacte demeure, plus d’un an après, encore largement inappliqué. Cet article prévoit la mise en place d’un mécanisme simple de transfert d’un contrat d’assurance-vie vieillissant, cher, vers un nouveau contrat plus intéressant au sein d’un même groupe d’assurances, sans frais ni pénalité fiscale. Cela permettra aux épargnants de se tourner sans contrainte vers des contrats d’assurance-vie plus compétitifs sur les frais, la gestion, le conseil.
Osons aussi « toiletter » l’ensemble des instruments financiers disponibles. La réorientation de l’épargne vers l’économie productive est préférable aux interventions directes de l’Etat dans le capital des entreprises. Il faut donc créer les bonnes incitations, en particulier fiscales, pour permettre à l’épargne massive accumulée de s’exprimer pleinement. Favoriser également l’investissement de proximité, porteur de sens, avec la création de fonds territoriaux accessibles comme unités de compte dans l’assurance-vie.
La Fondation Concorde va approfondir ces axes et quelques autres sur cette question centrale de l’orientation de l’épargne des Français. L’enjeu, déjà prégnant avant la crise de la pandémie de Covid-19, l’est encore plus aujourd’hui.
Christian de Boissieu, professeur émérite à l’université Paris-I, président du conseil scientifique de la Fondation Concorde
Matthias Baccino, vice-président de la Fondation Concorde
Christian de Boissieu, Matthias Baccino