Matthias Baccino, DG mes-placements.fr et Vice-Président de la Fondation Concorde
Déblocage des Madelin : cessons de maltraiter les indépendants !
Les travailleurs indépendants, durement touchés par la crise du Coronavirus, méritent mieux qu’une demi-mesure dénuée de bon sens !
Les conséquences économiques de l’épidémie de Coronavirus frappent l’ensemble des Français. Avec en première ligne, les quelques trois millions de travailleurs indépendants. Pénalisés durement par le confinement et la paralysie de l’activité économique, la crise qui se matérialise les expose, pour nombre d’entre eux, à la faillite. Un tissu de plus d’un million d’entreprises est en péril. Pour leurs acteurs, c’est une angoisse double, à la fois financière, mais aussi psychologique.
Bien sûr, des mesures ont été annoncées pour les soutenir : report d’échéances URSSAF (ne fallait-il pas plutôt des annulations ?), de loyers et de factures énergétiques, prêts garantis par l’Etat (PGE), aide exceptionnelle de 1 500 à 5 000 euros sous conditions… En outre, le 3ème projet de loi de finances rectificative promulgué fin juillet leur donne droit au déblocage partiel de leur épargne retraite (contrats Madelin et Plans d’Epargne Retraite). Mais malgré la gravité de la situation, cette dernière demi-mesure ne sera sans doute que peu efficace.
L’intention de départ était louable. Le texte permet un déblocage exceptionnel de l’épargne retraite des travailleurs non-salariés d’ici la fin de l’année, dans la limite de 8 000 euros. Ce plafond trouve une certaine cohérence, puisque le revenu médian d’un travailleur non salarié se situe à 7 500 euros par trimestre. On ne peut que saluer ici l’à-propos des parlementaires qui ont amendé le texte pour rehausser ce plafond, fixé initialement à 2 000 euros.
Mais malgré tous les discours sur le fameux « monde d’après » censé guérir les maux de « l’ancien monde », l’addiction à l’impôt, elle, envenime toujours la France, traversant les ères. Un déblocage non fiscalisé était à l’ordre du jour. Finalement, nos entrepreneurs devront se contenter d’une exonération partielle, avec une franchise d’impôt sur le revenu sur les 2 000 premiers euros seulement. Le tout, sans oublier de s’acquitter des prélèvements sociaux (17,2 %) sur les intérêts. Pour un retrait de 8 000 euros sur un contrat Madelin, cela peut se traduire par près de 2 000 euros prélevés par l’Etat. La facture est salée pour un dispositif d’urgence…
Le message est malheureusement limpide, et absurde : puisez dans votre épargne retraite pour sauver votre activité face à une crise d’une ampleur exceptionnelle… mais n’oubliez pas de payer impôts et prélèvements sociaux ! On ne peut que regretter la posture intransigeante adoptée par le gouvernement et sa majorité : alors que, selon ses propres dires, la mesure présente un « impact très faible » sur les finances publiques, tous les amendements de l’opposition visant à relever le plafond de l’exonération fiscale ont été rejetés. Un choix difficile à expliquer.
D’autres solutions étaient bien entendu possibles : désocialiser et défiscaliser totalement ce retrait exceptionnel équivalent à un trimestre de revenu médian, imaginer un système d’avance sur intérêts avec les assureurs, favoriser les retraits sur les livrets A et autres réceptacles d’épargne de précaution. Hélas, l’aberration fiscale a pris le pas, et continuera à pénaliser les indépendants en 2021.
En effet, la fiscalisation des déblocages anticipés d’épargne retraite n’était pas suffisante pour rendre la mesure inefficace… Les députés ont également choisi de retirer à ceux qui en bénéficieraient la déduction fiscale des versements actés l’année suivante. Ce serait donc une double peine pour les travailleurs non-salariés qui opteraient pour un déblocage anticipé : fiscalisation et socialisation du retrait réalisé pour sauver ou relancer son activité en 2020 ; perte de l’avantage fiscal pour les versements effectués en 2021 si l’activité repart et que le travailleur non salarié souhaite reverser pour son épargne retraite.
Ce manque de bon sens illustre une nouvelle fois une réalité bien connue des premiers concernés : dans un pays qui se gargarise de son fameux modèle social, on ne sait pas accompagner les travailleurs indépendants. Pire encore, on les maltraite. Il suffit de se rappeler de la catastrophe industrielle du défunt Régime Social des Indépendants (RSI) pour s’en convaincre. Est-il si difficile, par exemple, de concevoir un produit d’épargne dédié aux indépendants leur permettant de faire face aux coups durs ? Ou, à tout le moins, d’engager une véritable réflexion sur le sujet ? Le confinement et l’épidémie de Covid19 ont mis en lumière la fragilité du tissu entrepreneurial français. Lui donner des moyens durables de résister aux vents contraires, plutôt qu’une litanie d’aides ponctuelles conçues dans la précipitation, mérite toute l’attention des pouvoirs publics.
Il est grand temps d’arrêter de sanctionner celles et ceux qui ont pris le risque de travailler à leur compte. Nous devons bien au contraire les soutenir et les encourager, car ils représentent un poumon essentiel de notre économie et à force de les maltraiter, c’est l’asphyxie qui nous guette.