Michel Rousseau, président de la Fondation Concorde, estime dans cette tribune que la crise du coronavirus « appelle à une transformation et une refondation du ‘modèle français’ qui ne fonctionne plus.
La crise du coronavirus valide – hélas – toutes les analyses de la Fondation Concorde depuis sa création. Nous savions que la désindustrialisation appauvrit, nous savons désormais qu’elle endette et qu’elle peut tuer. Le gigantisme et l’inefficacité des dépenses publiques françaises, l’excessive centralisation de l’Etat mais aussi la fracture entre public et privé ont également été mis fortement en lumière.
Cette crise appelle à une transformation et une refondation du « modèle français » qui ne fonctionne plus. Cela nécessite au préalable une prise de conscience collective, à la fois de cet échec et de ses causes. Nous ne pouvons plus nous voiler la face : malgré des dépenses record, nous n’avons pas le meilleur système d’enseignement et maintenant nous savons que nous n’avons pas le meilleur système de santé, cela malgré l’héroïsme de nos soignants. La France dénombre quatre fois plus de décès par million d’habitants que l’Allemagne, soixante-dix fois plus que la Corée du Sud, mille fois plus que Taïwan! On observe même, à ce jour, davantage de décès, ramené au million d’habitants, qu’aux Etats-Unis malgré les terribles imperfections du système de santé de ce pays.
La France concentre 13% de la dépense sociale mondiale et pourtant nous n’avions en début de crise pas de masques et pas d’usines pour les fabriquer…
Au cœur de ces échecs, on retrouve tout d’abord les dépenses publiques les plus élevées du monde : 55,6% du PIB en 2019 dont 45% de prestations sociales soit une augmentation de ces dernières de 2,7% sur cette année. La France concentre 13% de la dépense sociale mondiale pour 1% de la population et pourtant nous n’avions en début de crise pas de masques et pas d’usines pour les fabriquer… En effet, pour la financer, nous avons assisté à un endettement continu et à une surtaxation des entreprises, avec là encore les prélèvements les plus importants du monde. Nous n’avons plus guère d’industries, en particulier d’industries de santé. Quelle surprise! Les industries de la santé subissent non seulement les prélèvements sur les entreprises les plus élevés du monde développé (OCDE) mais également des impôts de production qui surtaxent les activités industrielles ainsi que des impôts et taxes sectorielles. En dix ans, la France est passée de premier pays producteur de médicaments en Europe à quatrième. Cette surtaxation se fait également ressentir par nos citoyens, avec une pression fiscale forte sur les particuliers. La France reste la championne des prélèvements obligatoires.
Pour financer cette dépense publique, l’Etat rogne également sur les moyens affectés aux fonctions régaliennes, Police et Justice, qui souffrent désormais d’un sous-équipement chronique. L’Etat rogne tout autant sur les dépenses de précaution : la suppression du stock de masques en témoigne…Notre système hospitalier est un exemple emblématique de la façon dont l’éparpillement de la dépense publique nuit à son efficacité. Nous avons 3.000 hôpitaux en France pour répondre à la demande politique des collectivités territoriales contre 1.400 en Allemagne. Pour compenser ces surcoûts de structure, nous avons économisé sur les équipements. Il y a en Allemagne 5 fois plus de lits de soins intensifs, 8 fois plus de robots de réalisation de tests à grand débit, 2 fois plus de scanner alors qu’ils jouent un rôle fondamental dans le diagnostic et le choix du traitement du Covid-19. Ce n’est donc nullement une question de moyens : notre dépense de santé est légèrement supérieure et il y 40% de personnel en moins par lit en Allemagne.
Nous observons également une pénurie de médicaments, à la suite de la désindustrialisation massive et la délocalisation de nos chaines de production, située majoritairement à l’étranger. Cela ne fait qu’aggraver notre situation de dépendance et le manque de médicaments indispensables aux services de réanimation peut devenir un problème majeur à court terme.
La décentralisation est clairement apparue comme un facteur de résilience
L’autre cause de notre échec collectif, c’est l’obsolescence du modèle étatique français caractérisé par son extrême centralisation. La décentralisation est clairement apparue comme un facteur de résilience. Par essence un Etat centralisateur apporte des réponses standards et massifiées aux besoins de sa population. Pour y parvenir, il a besoin d’anticiper, de planifier, de traiter avec de grands acteurs capables de travailler à grande échelle, de fournir en grandes quantités. De ce fait, il est forcément en difficultés lorsqu’il est confronté à une situation d’urgence imprévue. C’est ce que l’on a constaté avec les grandes difficultés rencontrées par l’Etat pour fournir le pays en masques.
A contrario, les régions et les collectivités ont su mobiliser des ressources à petite échelle que ce soit à l’importation ou auprès de petites et moyennes entreprises françaises de leur territoire.
Ce diagnostic appelle une nouvelle décentralisation en faveur des régions et de l’ensemble des collectivités locales, plus à même de répondre rapidement aux besoins des français et également davantage en capacité de mobiliser des solutions adaptées à la diversité des besoins de la population, de mobiliser des initiatives locales ainsi que les ressources disponibles dans leur environnement. Cet échelon, plus proche des citoyens, permet, en situation de crise, d’opérer un lien plus fort et plus rapide entre toutes les parties prenantes et permet in fine de répondre plus précisément aux besoins. Les régions et les métropoles devraient être incitées à préparer des plans stratégiques glissants à 6 ans, mis à jour tous les 3 ans, de réindustrialisation avec les entreprises de leur territoire. L’Etat pourrait créer une Agence stratégique ayant pour mission de coordonner ces plans, d’en assurer le suivi et d’abonder les plans de financement locaux.
Par ailleurs la verticalité de l’Etat et son approche fondamentalement juridique et réglementaire sont de plus en plus en déphasage avec une révolution technologique qui donne le pouvoir aux entrepreneurs comme cela n’a jamais été le cas dans l’histoire. Ne voit-on pas la fusée réutilisable d’Elon Musk, projet lancé en 2002, supplanter les fusées d’ArianeGroup, émanation d’une coalition d’Etats au point de devoir supprimer 2 300 de ses 9 000 emplois? Facebook n’a-t-il pas plus d’influence dans le monde que la plupart des Etats européens?
La décision Etatique verticale d’en haut s’avère impuissante à tirer le profit de cette révolution technologique qui favorise les relations horizontales entre les acteurs de la société. Cette révolution technologique interroge évidemment sur la place que doit occuper l’Etat. On bascule d’une situation où l’Etat s’occupait de tout, comblait les insuffisances du marché, à une situation où les pouvoirs politiques locaux et régionaux et le marché ont la capacité de combler les insuffisances de l’Etat.
La puissance d’un Etat dépend plus que jamais de la réussite et du rayonnement de ses entreprises. L’Etat français doit sceller une alliance avec les entreprises. Cette alliance est par exemple au cœur de la réussite des dragons asiatiques (Corée du Sud, Singapour…) qui parviennent à la réussite scolaire et sanitaire avec une dépense publique comprise entre la moitié et le tiers de la nôtre!
Nous avons besoin d’un Etat, allégé, agile, capable de déléguer aux collectivités locales et aux régions, capable de travailler avec les entreprises.
La Fondation Concorde présentera la feuille de route d’une telle transformation au sortir du confinement.