Depuis l’apparition du coronavirus en Chine, la réindustrialisation française apparaît comme une stratégie prioritaire, écrit Michel Rousseau. Notre dépendance de biens manufacturés fabriqués à l’étranger est non seulement absurde, mais aussi dangereuse.
Par Michel Rousseau (président de la Fondation Concorde)
Publié le 10 mars 2020 dans Les Echos
Notre industrie se délite en silence et dans l’indifférence depuis plusieurs décennies, ce qui s’est traduit par la disparition de la moitié de nos usines et un appauvrissement rapide de nos territoires. Les élus de bourgs et des petites communes de France en ont ressenti les conséquences économiques et sociales désastreuses. Les mouvements sociaux de ces derniers mois sont, au moins en partie, liés à cette dégradation.
Il existe sans doute plusieurs raisons à cet effondrement de notre système de production, mais la principale à nos yeux reste le différentiel du total des taxes et charges sur nos productions, supérieures d’environ 10,5% à celles de nos principaux concurrents et cela depuis près de 40 ans… avec les diverses conséquences néfastes que l’on connait (désertification des territoires, chômage, déficit commercial). Ces charges sont pour les industries légèrement supérieures à 70 milliards d’euros, telles qu’elles sont annoncées par diverses sources, sommes importantes, ce qui ne laisse pas entrevoir leur suppression rapide.
Réindustrialiser la France
Nos responsables n’ont aujourd’hui plus le choix : ils doivent soutenir d’urgence les industries et manufactures françaises. Seules, elles fixent les populations et irriguent les autres activités, dans la proportion de 75 % elles contribuent à notre commerce extérieur, elles maintiennent dans notre pays un niveau élevé de recherche et enfin, ces manufactures affichent en termes de productivité une performance trois fois supérieure à celles des autres secteurs !
Ces caractéristiques en font le facteur essentiel de croissance. Pendant des décennies, nos dirigeants nous ont opposés l’argument absurde que toutes les entreprises devaient être traitées sur un pied d’égalité, puis on nous a opposé que le Conseil constitutionnel et la Commission européenne ne permettraient pas l’adoption de mesures spécifiques pour redresser notre industrie, ce qui revenait à refuser le rétablissement de notre économie, pourtant attendu de tous côtés. Ces obstacles semblent désormais avoir été chassés par le bon sens.
Produire en France apparaît enfin, depuis l’apparition d’un nouveau coronavirus en Chine, comme une stratégie nationale prioritaire. Notre dépendance de biens manufacturés fabriqués à l’étranger, en particulier dans le secteur des médicaments, est non seulement absurde, mais aussi dangereuse pour les Français. Par ailleurs, le rapatriement des usines sur le territoire national permettraient d’éviter les émissions de CO2 entraînées par le transport de marchandises depuis la Chine et d’autres pays éloignés, de bénéficier d’une électricité décarbonée à 90 % grâce au parc nucléaire français et de réduire notre empreinte carbone.
Supprimer des impôts de production
Plusieurs choses peuvent être faites en urgence pour aider les industriels : la mise en place d’un crédit d’impôt pour les investissements industriels, la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) et en complément, pour faire bonne mesure dans nos territoires, un soutien aux commerçants et artisans des centres-villes en supprimant la cotisation foncière des entreprises (CFE). Le total étant chiffré à 8,2 milliards pour un crédit d’impôt au taux de 50 %, 6,5 milliards pour la CFE et 3,8 milliards pour la suppression de la C3S.
S’il y a un seul effort à faire sur la dépense publique, c’est celui-là qui changerait radicalement l’état d’esprit dans notre pays. Ce n’est pas un cadeau aux entreprises, c’est le soutien au pouvoir d’achat des français et à l’emploi ! L’annonce de ces mesures viendrait concrétiser les récents progrès en attractivité de notre pays et se répandrait avec rapidité à travers le réseau mondial des industriels toujours à l’affût des sites compétitifs, sans oublier le bon effet attendu sur les nouvelles opportunités d’essaimage et à l’évidence sur les relocalisations.
Les lois de la politique et de la vie médiatique éloignent parfois l’attention de l’opinion des vraies décisions ; alors que notre taux de chômage se tient encore à des niveaux très supérieur à celui de nos voisins, ce serait une bonne stratégie de consacrer nos forces à la réussite de la vraie seule solution : le renforcement de notre système de production et le rapatriement de productions essentielles.
Michel Rousseau, ancien professeur à l’université Paris-Dauphine, est président du think tank Fondation Concorde.