— Publié dans Le Figaro le 13 février 2020
Le vice-président de la Fondation Concorde explique les raisons de l’isolement de l’Élysée, du gouvernement et de LREM sur le dossier des retraites.
Douze milliards d’euros d’ici à 2027! C’est la somme des mesures de redressement des comptes que doit identifier la conférence du financement réunie jeudi par le premier ministre. Celle-ci doit de se mettre d’accord sur les modalités du retour à l’équilibre d’un régime des retraites, dont la réforme structurelle d’aujourd’hui ne dit rien de la pérennité.
Dans son avis rendu public il y a quelques jours, le Conseil d’État pointe à cet égard l’insuffisance des études d’impact et le caractère «lacunaire» des projections transmises par le gouvernement. Or, cette incertitude pèse depuis le début sur les débats. Le choix de dissocier une réforme structurelle de l’enjeu «paramétrique» ou budgétaire paraît, en effet, échapper au bon sens. Faut-il être à ce point éloigné des réalités pour imaginer que l’esthétique réformatrice du nouveau système universel de retraite (SUR) allait l’emporter sur les interrogations fondamentales et légitimes des Français quant à l’âge de départ et aux pensions servies?
Or, le SUR n’apparaît pas vraiment sûr. Le Conseil d’État le souligne d’ailleurs: «Le système par points retire aux assurés une forme de visibilité sur le taux de remplacement qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence, mais à une valeur de service du point, définie de manière à garantir l’équilibre financier global du système». Comme le rappelait récemment l’économiste Christian Saint-Étienne, vice-président de la Fondation Concorde, le système par points est éminemment financier et non pas social, il est opaque et non pas transparent.
L’introduction par le premier ministre d’un âge pivot – ou âge d’équilibre – révélait le problème, mais, en apportant une solution non concertée, qui a failli emporter la réforme avec l’eau du bain syndical.
Pourtant, dans cette affaire, les données du problème sont là depuis des années. En matière démographique, les chiffres sont têtus et les projections de l’Insee plus certaines que des promesses de campagne. Dans 20 ans, en 2040, un habitant sur quatre aura 65 ans ou plus. Cette forte augmentation est «inéluctable» précise l’Insee, car elle correspond à l’arrivée dans cette classe d’âge des générations issues du baby-boom.
Prévoir les conséquences économiques et sociales du vieillissement, voilà ce qu’on peut attendre d’un État responsable
Le vieillissement de la population est donc inscrit dans le marbre de notre pyramide des âges. Tout système économique reposant sur un transfert instantané de ressources entre classes d’âge est ainsi, par construction, voué au déséquilibre, nonobstant les hypothèses de croissance ou de politique migratoire aléatoires. Il y a plus que du déni à se focaliser sur ce qu’a dit, ou pas, le candidat à l’élection présidentielle en matière d’âge de départ à la retraite. En 2017, l’agence Bloomberg affichait des perspectives inquiétantes, faisant de la France l’un des dix pays au monde les plus à risque face au vieillissement de la population. Que dire alors du rapport Rocard de 1991 qui pointait déjà toutes les difficultés et exhortait à la réforme pour maintenir le lien de solidarité intergénérationnel qui caractérise notre système en répartition?
Or, prévoir les conséquences économiques et sociales du vieillissement, voilà ce qu’on peut attendre d’un État responsable, soucieux de conduire une politique durable et d’assurer la pérennité de nos systèmes de solidarité nationale afin de refaire de la France l’un des pays les plus prospères d’Europe. Aujourd’hui, 14 % du PIB sont consacrés aux retraites en France ; c’est le double de la moyenne de l’OCDE et trois points de plus qu’en Allemagne. Malgré cet investissement colossal, la question du financement à long terme n’est pas réglée et le risque de la dépendance, autre défi de taille pour notre société, n’est pas même pas encore posé, sauf à admettre que l’annonce du subventionnement des personnes pour les aider à transformer leurs baignoires en douches est à la hauteur de l’enjeu.
Une fois encore, c’est le défaut de confiance qui sape les chances de la réforme et cette défiance des Français est entretenue par un discours gouvernemental sans méthode, peu respectueux du travail des corps constitués, erratique dans le chiffrage.
Gestion désastreuse
C’est que les antécédents de gestion ne sont pas fameux. Avec un endettement public frôlant les 100 % du PIB, la baisse des prélèvements obligatoires (de 45, 4 % à 43,7 %) s’annonce déjà comme une promesse du quinquennat qui ne sera pas tenue. La France gardera son triste record, obérant durablement le revenu disponible des ménages et donc leur prospérité. Quant à la Sécurité sociale,le déficit du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse augmenterait finalement au lieu de diminuer, pour atteindre encore, en 2020, plus de 5 milliards d’euros.
La gestion désastreuse d’un État impécunieux et d’un paritarisme dispendieux entretient un climat d’inquiétude pour l’avenir, toutes classes sociales confondues, qui se traduit directement par une augmentation de l’épargner de précaution. La baisse du taux du Livret A ne change rien à l’affaire: c’est dire si l’angoisse individuelle et collective face à l’avenir l’emporte sur la rationalité financière.
Il y a une malhonnêteté intellectuelle et politique à proposer la réforme d’un système sans en garantir la pérennité à moyen terme. Les Français l’ont compris et manifestent moins leur attachement à un régime dépassé que leur défiance sur la capacité de l’État et des partenaires sociaux à assurer leur avenir. Ce qui plombe la réforme des retraites, c’est donc son point… de départ, qui ne dit rien du point d’arrivée.