Le Cercle des économistes organise au journal Le Monde, le 18 janvier, le second des trois débats sur les principaux enjeux économiques et sociaux de l’élection présidentielle de 2017, autour du thème « Où va le travail ? » Cette tribune rédigée par notre experte en droit social Anna-Christina Chaves a été publiée initialement dans le Le Monde
Les politiques de l’emploi menées ces trente dernières années ont été incapables de faire face au niveau du taux de chômage structurel qui s’est installé en France, passant de 5,1 % en 1980 à 10,3 % en 2014. Si l’on ajoute à cela la part importante de sous-emploi constituée de salariés à temps partiel qui souhaiteraient travailler plus, la situation du marché du travail en France est délicate : parcours professionnels heurtés par des périodes de chômage, difficultés d’insertion croissantes et dégradation de la qualité de l’emploi.
Les classes moyennes très touchées
La désindustrialisation a fortement contribué à la bipolarisation du marché du travail : d’un côté, des emplois hautement qualifiés mais très peu nombreux et, de l’autre, des emplois peu qualifiés mais fragiles. Entre les deux, toute une frange de la population active exerçant des métiers dits « intellectuels » dans le secteur des services, que l’on croyait épargnés mais qui se trouveront pourtant emportés par la nouvelle vague de l’automatisation. Ce phénomène de fragilisation des classes moyennes ne fait que commencer, même si son ampleur est difficile à appréhender. Une étude menée par l’université d’Oxford en 2013 prévoit que 42 % des emplois français actuels sont potentiellement automatisables à l’horizon des vingt prochaines années, alors que l’OCDE ramène ce taux à 9 %. Cristallisant les enjeux majeurs de notre époque, la question de la transformation du travail est au cœur de tous les débats politiques. Au Royaume-Uni, le Brexit n’est-il pas une réponse populiste aux craintes que suscite cette fragilisation accrue des classes moyennes ?
Cette troisième révolution industrielle qu’est l’automatisation présente pour la France un double défi: celui de la compétitivité d’une part et celui de l’adaptation du modèle social aux nouvelles formes de travail d’autre part. Si par le passé elle n’a pas su préserver son moteur industriel, elle doit aujourd’hui réussir la transition numérique: transformer le risque en opportunité, pour éviter un nouveau décrochage.
Discours flous
Si ce constat est partagé, le discours et la méthode des candidats à la présidentielle pour l’affronter sont très nuancés. Certains, notamment à l’extrême gauche, adoptent un discours anxiogène de lutte des classes militant en faveur de la retraite à 60 ans et de la baisse du temps de travail ; d’autres, comme le Front national, adoptent un discours flou, le dénominateur commun restant la lutte contre l’« ubérisation ». En réponse à la révolution numérique, les candidats de gauche se contentent de proposer une taxe sur les robots ou une baisse du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), mais n’envisagent pas d’augmenter le temps de travail. Pour lutter contre l’« ubérisation », certains souhaitent ramener les indépendants sous le régime général et créer un revenu minimum décent sous conditions de ressources. Les candidats libéraux cherchent au contraire à anticiper cette révolution, conscients qu’elle porte en elle les jalons d’une nouvelle économie. Ils proposent de baisser le coût du travail. Mais, parce que ce n’est pas le seul levier pour développer l’emploi, il est également question d’alléger les contraintes réglementaires avec la simplification du code du travail, de rendre plus flexible le recours au contrat de travail et de rendre moins aléatoire sa rupture.
La France peut et doit tirer parti de la révolution numérique plutôt que la subir. Comment ? Une première mesure simple et dont les effets seraient rapides sur le front de l’emploi consiste à atténuer les effets de seuils sociaux, qui sont si souvent des freins à l’embauche supplémentaire. Les statistiques de l’Insee donnent une idée du potentiel sous-jacent : 18 300 entreprises de 10 salariés contre 34 500 de 9 salariés ; à peine 4 000 de 20 salariés contre 7 000 de 19 salariés ; 600 entreprises de 50 salariés contre 1 600 de 49 salariés.
Des réformes nécessaires
La réforme nécessaire du régime d’assurance-chômage passera sans doute par une forme de dégressivité des allocations, mais ne doit-elle pas surtout passer par une meilleure adaptation aux besoins de formation des chômeurs en vue de leur employabilité ? La formation est l’un des enjeux majeurs de cette nouvelle révolution technologique. Un contrat dérogatoire au Smic ne devrait-il pas être envisagé pour ramener au sein des entreprises les personnes durablement éloignées de l’emploi ?
La question du travail indépendant cristallise une problématique beaucoup plus large qui touche à notre modèle social dans son ensemble : dépasser la logique de droit du travail vers un droit de l’activité professionnelle, et interroger notre système de protection sociale vers un droit plus universel et à terme plus compétitif.
C’est en considérant la révolution numérique comme une opportunité plutôt qu’une fatalité et en prenant des mesures offensives que le plein-emploi en France pourra devenir une réalité et non plus une utopie.