Face aux défis de la massification annoncée de ses effectifs en période de disette budgétaire, l’enseignement supérieur français doit se transformer. 

 L’enseignement supérieur est dévalué

« Les facs sont des usines à chômeurs » disait un ancien directeur de Sciences Po Paris. Parent pauvre de l’enseignement supérieur, l’Université ne fait plus rêver depuis longtemps. Pire encore, son image et sa notoriété ne devrait pas s’améliorer si l’on reprend les couacs du mois de juillet dernier : annonce du tirage au sort à l’entrée des filières, mise en place d’un contingentement et 90.000 jeunes encore sans affectations à moins de deux mois de la rentrée. Une situation qui atteste d’une gestion à la petite semaine de l’Université, sans vision long terme ni embryon de projet. 

Il est urgent de donner enfin un cap à un système d’enseignement supérieur qui a la lourde charge de former chaque année plus de 2,5 millions d’étudiants. La Fondation Concorde propose une réforme ambitieuse mais réaliste visant à résoudre l’échec en licence, pallier les difficultés financières des établissements et moderniser la structure nationale de l’enseignement supérieur.

 

L’orientation pour éviter l’échec

L’échec à l’université représente un coût annuel de 2 milliards € pour l’Etat, soit 9% du budget global de l’enseignement supérieur. Les études[1] montrent que 80% des échecs s’expliquent par un mauvais choix d’orientation. Pour endiguer enfin l’échec massif, certains réclament une sélection malthusienne sèche. Une idée que la France, par culture, n’est tout simplement pas prête à envisager. La solution que nous proposons est de passer d’une logique de filière tubulaire à une logique de parcours à la carte où l’étudiant pourra piocher parmi une infinité d’enseignements disponibles afin de créer un profil original, en accord avec son projet professionnel. Ainsi serait créé un « droit au tâtonnement » à chaque étudiant qui pourra donc se tromper d’orientation sans pour autant que cela lui soit préjudiciable. Surtout, l’étudiant, devenu acteur de sa formation, pourrait bâtir des compétences transversales loin des silos de spécialisations trop précoces qui sont aujourd’hui proposés.

La massification de l’enseignement est également un défi à relever : dans les 10 prochaines années, ce sont 335.000 étudiants supplémentaires qui vont s’inscrire à l’université.  Or depuis 1980, les effectifs ont déjà bondi de 108%, alors que ceux des inscrits dans l’enseignement professionnel ont chuté de 17%. Une situation qui se traduit par une inadaptation de l’offre au marché du travail où la quasi-totalité des 300.000 emplois non pourvus concernent des métiers manuels. Pour remédier à cette situation, la clé de réussite est la revalorisation de l’enseignement professionnel et de l’apprentissage. Pour cela, la mise en place d’un système similaire à la Hauptschule allemande pourrait permettre aux élèves de découvrir la voie professionnelle avant l’âge de 14 ans, et celle-ci ne sera plus vue comme une fatalité mais comme une opportunité.

 

Développer de nouvelles ressources budgétaires

Les universités sont proches de l’asphyxie financière. Depuis 2010 la dépense moyenne par étudiants a baissé de 3% et la part de l’Etat dans le financement de l’enseignement supérieur a baissé de 2,4%. Dans un contexte de consolidation budgétaire globale nécessaire, les établissements d’enseignement supérieur doivent diversifier leurs revenus. L’augmentation des frais d’inscription n’aurait qu’un effet marginal et serait socialement discriminante pour les étudiants les moins aisés. Pour augmenter leur budget, deux volets sont à explorer : la formation professionnelle et la mise en place de financements équitables.

Le premier levier représente une manne de 33 milliards €. La Cour des Comptes a plusieurs fois alerté sur l’opacité et l’inefficacité d’un tel système. Il conviendrait de confier la formation professionnelle aux établissements d’enseignement supérieur. Ils possèdent les compétences et les structures nécessaires au déploiement d’une formation tout au long de la vie de qualité.

Le second levier est de réfléchir à un système de prêt à remboursement conditionnel à la française. Prisé des Australiens, ce système vise à rendre totalement gratuite les études supérieures, et à faire rembourser dans le temps environ 20% du coût de la formation aux usagers une fois qu’ils sont diplômés et à condition qu’ils atteignent un certain niveau de salaire. Selon certains experts, ce mécanisme pourra permettre de dégager 4 milliards € pour l’enseignement supérieur.

 

Un choc de simplification

La modernisation de l’enseignement passera également par une nécessaire transformation de la gouvernance. Aujourd’hui le milieu universitaire se perd dans bons nombres d’acronymes complexifiant la compréhension de son fonctionnement pour tous les profanes. Un choc de simplification doit être opéré, permettant de moderniser la structure globale et donner plus d’autonomies aux établissements.

Ces derniers doivent pouvoir recruter eux-mêmes leurs enseignants, sans passer par le processus de qualification nationale. Ils doivent également être en capacité de construire et développer leur propre schéma de formation, sans passer par le processus d’accréditation. Dans cette nouvelle mouture, la clé sera l’évaluation qualité et l’accréditation. Chaque établissement sera alors à même de construire sa propre politique pédagogique en utilisant les notions de qualité et d’assurance qualité comme outils de pilotage et de conduite du changement.

 L’enseignement supérieur mérite mieux que des positions idéologiques et des querelles de chapelle. Entre sous-budgétisation et massification des effectifs, l'enseignement supérieur français est confronté à des défis dont il ne pourra se sortir qu'avec audace et ambition. Il a besoin d’une réforme en profondeur pour remplir son rôle essentiel de formation et de montée en compétences des citoyens.

 


Tribune publiée initialement sur Educpros.fr


[1] Source : enquête condition d’étude de l’ARES

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