Les buralistes sont-ils voués à disparaître ? Peu d'activités incitent plus au pessimisme, à tel point que nombre de commentateurs en annoncent le deuil par anticipation. Aucune sans doute n'est confrontée à autant de vents contraires. Les buralistes doivent faire face, simultanément, à la réduction des volumes écoulés de tous les éléments de leur chiffre d'affaires : la vente de tabac bien sûr, la moindre consommation d'alcool, mais aussi le déclin de la presse papier et la digitalisation des jeux. Ils ne doivent leur soutien qu'à des perfusions d'aides qui ne pourront avoir qu'un temps et dont les limites sont déjà atteintes.

Avec le développement du numérique, tous les commerces de proximité sont entrées dans une phase de profonde remise en question. Les buralistes en sont l'exemple par excellence. Parce qu'ils pensent être protégés par le monopole dont ils jouissent sur certaines de leurs activités, ils ont pu longtemps estimer que la menace ne les concernait pas. Tout comme autrefois les taxis avaient pu le penser, à l'abri derrière le contrôle des licences. Plus personne aujourd'hui ne peut maintenir l'illusion de l'immortalité des buralistes. Mais la prise de conscience, si tant est qu'elle ait lieu dans l'esprit de tous – ce dont on peut encore douter ! -, ne suffit pas à indiquer des solutions.

Les buralistes ont, à travers le bar, un passé glorieux de commerce symbolique de cette France de la convivialité heureuse et de la douceur de vivre si souvent évoquée par les nostalgiques. D'une certaine façon, ils incarnent une partie de cet âge d'or des Trente glorieuses au cours desquelles ils se sont particulièrement épanouis, marquant de leur dense maillage les territoires ruraux et urbains de la Métropole. Passé glorieux donc, mais présent difficile. Pire encore, ils semblent n'avoir plus d'avenir.

Il ne s'agit pourtant pas d'un commerce comme un autre. Le buraliste fait encore partie de ces lieux de proximité dans lesquels, qu'on le veuille ou non, se crée et s'entretient le lien social. Un lieu de consommation et d'achat, certes, mais aussi un lieu de rencontre et d'échange où 10 millions de Français se croisent chaque jour. Un point focal de passage plus convivial que la rue qui n'est chez nous, à la différence des pays méditerranéens (le climat aidant sans doute), pas un lieu du dialogue quotidien d'aussi grande importance. Si les conversations de comptoir sont devenues des images d'Epinal gentiment moqueuses de la discussion ouverte entre simples citoyens, c'est qu'elles traduisent la réalité sociale de ce qui est à l'oeuvre dans ce qui reste des lieux de vie ouverts. A l'heure de la prolifération d'échanges virtuels créant des réseaux certes hyper-étendus mais dont la profondeur et la solidité peuvent être questionnés (avons-nous vraiment plus d'amis depuis Facebook ?), les lieux de coprésence physique deviennent plus précieux que jamais. Leur disparition serait dommageable, en particulier dans les zones rurales et péri-urbaines où les cafés tiennent lieu au fond de place publique. Le débit incarne une partie de cette agora grecque d'antique mémoire, de ce lieu du colloque libre et ouvert entre citoyens. Le perdre serait perdre du même coup une partie de ce débat politique permanent dont a tant besoin notre démocratie.

Depuis longtemps, la Fondation Concorde s'intéresse aux problèmes sans cesse plus aigus des commerces de proximité. Après avoir esquissé les voies de modernisation des officines de pharmacie dans un précédent rapport[1], nous tentons dans le présent document de tracer très concrètement les chemins d'un avenir retrouvé pour les buralistes.

Quel est l'état des lieux de la profession aujourd'hui ? Quel est le bilan des dispositifs d'aide ? Quelles sont les perspectives de cette activité ? Dans quelle mesure la légendaire diversification peut-elle constituer un relais de croissance crédible ? Comment, pour le dire clairement, redonner un avenir à une profession qui ne semble plus en avoir ?

 

 

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